Cher Laurent,
quand on a pris un jour la liberté de critiquer sévèrement un auteur débutant, on se doit d’aller voir si ses œuvres subséquentes témoignent en sa faveur. Ce que j’ai fait en lisant « L’enfant de l’eau close ». Ce qui était un devoir de pédagogue s’est révélé un réel plaisir.
J’ai en effet été proprement emporté par les aventures d’Émile, du Cul-des Roches à son retour aux Alisiers en passant par Neuchâtel, Cortaillod, Genève, Lisbonne et les rives de l’Amazone. L’histoire est joliment construite autour de quelques points forts de notre histoire locale et en connaît un heureux prolongement à travers Pury et ses entreprises brésiliennes. Un vrai roman d’aventures élaboré de telle manière qu’il se révèle finalement comme une « histoire de vie ».
Ton écriture est nerveuse et rapide, elle tire le lecteur vers l’avant dans une dynamique quasi irrésistible, se distinguant ainsi d’un des grands reproches faits à la littérature romande du XXe siècle, d’être statique, pesante et souvent trop intériorisée.
Un des éléments qui m’a le plus frappé dans ton roman est d’avoir constaté que, sous ta plume, les affaires ne traînent pas. Qu’il soit ici question d’amours, de signatures de contrats, de rencontres favorables, d’exécution de tâches bref de tout ce qui emplit nos vies quotidiennes.
Tu rends Émile si vivant qu’on est avec lui sans discontinuer dans tout ce qu’il entreprend et dans tout ce qu’il réussit toujours si bien. D’ailleurs, il fait également preuve d’une résilience admirable dans chacun des coups du sort qui viennent le frapper. C’est un actif invétéré, ce qui ne l’empêche pas de réfléchir parfois intensément. C’est un vrai héros de roman en cela qu’il est, comme nous tous, ballotté sans concession par la vie. A cela près, toutefois, que son taux de réussite dépasse largement la moyenne habituelle de l’humaine condition.
Je constate aussi, avec plaisir que tu t’es richement documenté sur les divers métiers que pratique ton héros et que tu as fort bien su intégrer à ton récit des événements et des personnages contemporains de ton héros, Perrelet, DuPasquier, Pury etc. A quelques détails près que de très rares lecteurs percevront, les dialogues que tu leur prêtes sont réalistes et bien tournés, même s’il leur arrive de recourir à quelques anachronismes ou régionalismes. Je ne suis pas sûr, par exemple, que le Capitaine Alvarez ait promis à Émile de le soigner aux petits oignons.
Enfin, pour le grand amateur de littérature épistolaire et d’écrits personnels que je suis, je tiens à souligner la remarquable justesse de ton que tu as mise en œuvre aussi bien dans la rédaction des lettres échangées que dans les extraits du journal de voyage.
Bien cordialement.
Neuchâtel, le 18 janvier 2024 Jean-Pierre Jelmini